Dômes communautaires
Importance des espaces communautaires
On imagine facilement les lieux à prévoir :
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espaces de restauration et de socialisation, avec bar et cuisines, capables de servir les repas d’une centaine de personnes (en deux services) ;
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espaces sportifs, qui pourraient comporter divers types d’équipements, par exemple une piscine ;
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espaces « échoppes », lieux de détente et d’acquisition ou d’échange de biens de la vie courante ;
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espaces culturels, pour spectacles, conférences, réunions ;
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espace formation-éducation, pour adultes et pour enfants (dans l’hypothèse où ils seraient admis dès cette première colonie…) ;
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espace du service médical et des bureaux de l’administration.
Ces espaces devraient être capables d’accueillir simultanément au moins 100 à 200 résidents. Leur agrément et le niveau de qualité des fonctionnalités spécifiques qu’ils offriront seront déterminants pour la qualité de vie dans la colonie et, par conséquent, pour le succès de celle-ci en tant qu’offre de résidence d’exception.
En matière de cadencement du programme d’édification, il faut prévoir un nouveau lieu de la première catégorie à chaque période synodique, de façon à assurer l’accueil et la restauration de la centaine de résidents supplémentaires. Par contre, la cadence pourra être moindre pour les autres espaces. Il devrait être suffisant de tabler au total sur deux nouveaux espaces par période (tous les 26 mois).
Un problème différent de celui des logements
La conception de ces espaces pressurisés présente au moins deux aspects qui, fort heureusement, permettent de relâcher quelques peu les contraintes et d’élargir le spectre des solutions envisageables.
En premier lieu, si leur volume unitaire est important, on ne se trouve plus confronté à la cadence quasi industrielle de la construction des logements (un nouveau résident par semaine). Des techniques demandant plus de temps que pour les modules d’habitat pourraient donc être applicables.
Ainsi il est clair que le dôme transparent est le modèle de rêve pour l’architecture de ces lieux
Vue de dessus d’un espace de restauration-socialisation de 30 m de diamètre (C) R.Heidmann /APM
Comment réaliser des espaces sous dômes ?
Même si, on pourrait construire les premiers espaces communautaires en mode « enterré », les architectes de la colonie voudront réaliser dès que possible des enceintes offrant une grande visibilité sur l’extérieur, avec cependant, des zones d’exposition variée aux rayonnements ionisants. Mais pour ces espaces, de dimensions plus importantes que les logements individuels, de grandes baies vitrées planes sont exclues. Ceci du fait, souvent mal perçu, de l’énorme force (5 tonnes/m²) qu’applique le différentiel de pression entre l’intérieur (500 mbar) et l’extérieur de l’enceinte (6 à 7 mbar). Ainsi, beaucoup de très séduisantes visions d’habitats martiens doivent malheureusement être oubliées. A vrai dire, le concept d’habitat présenté dans cette étude utilise bien des vitrages plans ! Mais on s’est assuré que leur taille (3m x 1,5m) était suffisamment limitée pour que leur tenue à la pression ne pose pas de problème, moyennant le choix du verre trempé en épaisseur de 3 cm et l’ajout de cornières de renfort intermédiaires (cf. figure §5.1). Il n’en reste pas moins que cette architecture n’est pas extrapolable à l’échelle d’un espace communautaire, pas plus que ne le sont facilement les formes traditionnelles (parallélépipédiques) de nos bâtiments.
Face à cette impasse, le concept de dôme (transparent) apparaît comme la solution idoine, à la fois la plus rationnelle au plan mécanique (la sphère est la forme la plus légère pour contenir un volume donné sous pression) et au plan de l’agrément et de la variété des aménagements qu’il permet. Malheureusement, il pose un certain nombre de problèmes, qui s’accroissent considérablement avec la taille (le diamètre). Ainsi :
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on lit souvent que le dôme pourrait simplement être un « ballon » constitué d’une membrane souple maintenue en forme par les 0,5 bar de pression interne, ballon qui pourrait être à demi enterré ou plus simplement ancré sur un bâti en surface ; mais comment réaliser une enveloppe assez grande, étanche, capable de tenir la pression et résistante aux UV ? Il faudrait probablement l’apporter de la Terre, et il paraît de toute façon difficile, ne serait-ce qu’à cause de la masse, d’aller au-delà de 10 m de diamètre ;
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le demi-enterrement représente un travail de terrassement colossal, croissant comme le cube du diamètre ;
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une enveloppe sans armature s’effondrerait en cas de déchirure ;
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dans le cas où, pour se protéger des radiations, on déciderait de couvrir l’enveloppe sous pression de glace ou de régolite, cet effet serait brutal et catastrophique ;
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il est dit qu’une telle couverture permettrait de contrer la force de pression exercée sur l’enveloppe, mais cela n’est tout-à-fait vrai que sur le sommet, et pratiquement pas sur les flancs ;
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il est souvent fait référence aux matières plastiques pour confectionner l’enveloppe, parce que plusieurs variétés pourraient être synthétisées sur Mars ; mais elles n’ont pas de très bonnes caractéristiques mécaniques et sont généralement trop sensibles aux UV et au phénomène de fluage sous charge ; et l’assemblage de laies fabriquées in situ demanderait un atelier propre (sans poussière) de grande surface ;
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pour contourner l’obstacle du terrassement, qui devient très vite un « show-stopper » quand le diamètre dépasse, disons, une dizaine de mètres, il a été proposé de tirer parti de formations géologiques naturelles (cratères frais, gouffres d’origine volcanique), mais ce n’est pas applicable dans notre scénario, dans la mesure où il y a peu de chances de trouver une série de telles formations suffisamment proches les unes des autres.
Pour réduire ces obstacles, il faut appliquer les mêmes principes de base que pour les habitats :
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bannir tout terrassement volumineux, dévoreur d’énergie et de temps de main-d’œuvre, c’est-à-dire tout concept dont le volume à déplacer est fonction du diamètre D à la puissance 3 ;
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produire les matériaux et fabriquer les éléments in situ ; ceci s’impose encore plus que dans le cas des habitats car la surface croît en D² et la masse en D3 (un dôme de 30 m serait, en première analyse, 27 fois plus massif qu’un dôme de 10 m) ;
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éliminer toute solution d’éléments de grande taille (typiquement, le concept d’enveloppe monobloc gonflable) et s’orienter vers une structure constituée d’éléments préfabriqués de taille réduite, ne nécessitant donc pas d’ateliers ni de moyens de manutention surdimensionnés.
Des dômes géodésiques hémisphériques
Un concept intégrant ces principes est celui du dôme géodésique hémisphérique. Il serait constitué par l’assemblage de vitrages triangulaires, en verre trempé (du même type que ceux des habitats), montés en atelier sur un cadre en acier, support de feuillure. Ces éléments, dont la dimension serait de l’ordre de 2 m et la masse de l’ordre de 300 kg, seraient faciles à transférer sur le chantier et assemblés, niveau après niveau, par une équipe de monteurs utilisant un outillage mobile de positionnement, mis en œuvre par un robot. Ce robot devrait être capable, de façon autonome, de se saisir des panneaux, de les positionner rigoureusement, d’appliquer les éventuels enduits d’étanchéité et de procéder aux fixations (boulonnages). Des robots effectuent déjà des tâches de cet acabit dans l’industrie automobile. Les opérateurs ne seraient là que pour superviser et faire face à l’imprévu, et n’auraient donc pas à subir le stress d’une activité physique soutenue en combinaison spatiale.
Structure géodésique de 30 m de diamètre, en verre plat et structure acier, reprise sur fondation en duricrete armé. (C) R.Heidmann /APM
Le choix de l’hémisphère permet s’éviter l’écueil du terrassement massif, mais il conduit à une autre difficulté, celle de l’ancrage de la structure au sol. Quelques ordres de grandeur, pour un diamètre de 20 m (donc encore modeste), permettent de situer le problème. La résultante des forces de pression sur l’hémisphère, verticale, s’élève à 15700 kN (environ 1600 T) ; le périmètre étant de 63 m, l’agrafage de l’hémisphère au sol doit être capable de tenir un effort de 25 T/m de circonférence, ce qui suppose une reprise par des ferrures métalliques capables de transmettre l’effort au sol. En réalité, il faudra ériger ce dôme sur une fondation dimensionnée pour reprendre cet effort d’interface, et suffisamment rigide pour tenir, avec une déformation ne mettant pas en cause son intégrité (y compris à long terme), la force de 1600 T exercée directement sur elle par la pression. Cette structure pourrait être réalisée en duricrete, directement coulé dans un coffrage cylindrique où les ferrures d’interface auraient été prépositionnées, et éventuellement armé par des profilés d’acier. Une épaisseur de 1 m (un peu plus dans la zone périphérique d’ancrage) devrait suffire.
On comprend qu’on a affaire dans ce cas à un chantier conséquent, qui va en particulier exiger de grandes quantités de duricrete, d’eau et d’acier… Mais à l’inverse on divise par deux la quantité de matériaux pour la construction du dôme lui-même et, surtout, on minimise les travaux de terrassement.
Nos réflexions sur l’aménagement de ces espaces nous conduisent à penser qu’un diamètre de 20 m permettrait déjà d’offrir de beaux espaces aux résidents, à condition bien entendu qu’ils soient en nombre proportionné au volume de la population (deux par tranche de 100 résidents).
Des dômes géodésiques hémisphériques
Le choix de l’hémisphère permet s’éviter l’écueil du terrassement massif, mais il conduit à une autre difficulté, celle de l’ancrage de la structure au sol. Quelques ordres de grandeur, pour un diamètre de 20 m (donc encore modeste), permettent de situer le problème. La résultante des forces de pression sur l’hémisphère, verticale, s’élève à 15700 kN (environ 1600 T) ; le périmètre étant de 63 m, l’agrafage de l’hémisphère au sol doit être capable de tenir un effort de 25 T/m de circonférence, ce qui suppose une reprise par des ferrures métalliques capables de transmettre l’effort au sol. En réalité, il faudra ériger ce dôme sur une fondation dimensionnée pour reprendre cet effort d’interface, et suffisamment rigide pour tenir, avec une déformation ne mettant pas en cause son intégrité (y compris à long terme), la force de 1600 T exercée directement sur elle par la pression. Cette structure pourrait être réalisée en duricrete, directement coulé dans un coffrage cylindrique où les ferrures d’interface auraient été prépositionnées, et éventuellement armé par des profilés d’acier. Une épaisseur de 1 m (un peu plus dans la zone périphérique d’ancrage) devrait suffire.
On comprend qu’on a affaire dans ce cas à un chantier conséquent, qui va en particulier exiger de grandes quantités de duricrete, d’eau et d’acier… Mais à l’inverse on divise par deux la quantité de matériaux pour la construction du dôme lui-même et, surtout, on minimise les travaux de terrassement.
Nos réflexions sur l’aménagement de ces espaces nous conduisent à penser qu’un diamètre de 20 m permettrait déjà d’offrir de beaux espaces aux résidents, à condition bien entendu qu’ils soient en nombre proportionné au volume de la population (deux par tranche de 100 résidents).
Se protéger des radiations
Pour écarter le risque d’un surdosage de radiations ionisantes il est important de concevoir des aménagements offrant à la fois des zones dégagées avec pleine visibilité sur l’extérieur (et pleine exposition à l’environnement radiatif), des zones avec visibilité partielle, n’ouvrant pas exemple que sur une partie du ciel martien, et des zones totalement abritées, mais profitant quand même de la lumière naturelle..
Ainsi la question des radiations peut être résolue en appliquant un principe de conception des bâtiments qu’on pourrait baptiser « l’effet casquette ». Ce principe s’appuie sur deux constats :
Illustration de "l'effet casquette" dans les dômes avec des gradins en duricrete. (C) R.Heidmann /APM
- en ce qui concerne le contrôle de l’exposition : au cours de l’expédition, la contribution principale à la dose totale reçue restera, quels que soient les efforts pour la minimiser, celle encourue pendant les transferts interplanétaires ; en ordres de grandeur, pour un séjour sur un cycle (18 mois sur Mars), on peut tabler sur quelques cSv au sol en comptant sur des habitats protecteurs et abri anti-SPE (Solar Particles Events : bouffées sporadiques et violentes de protons, ne constituent pas un véritable danger dans la mesure où leur spectre d’énergie, bien inférieur à celui des GCR, permet de s’en protéger lorsqu’ils adviennent ainsi 30 à 50 cm d’eau ou de polyéthylène suffisent) contre 50 cSv pour les 2 transferts. De ce fait, viser une dose rigoureusement nulle en phase planétaire, outre que cela conduirait à renoncer à toute sortie en surface, ne serait pas un objectif rationnel ; en réalité, du point de vue du souci de sa santé, le voyageur martien sera amené à gérer sa dose personnelle en modulant son exposition, de façon à revenir sur Terre avec une dose totale (et donc un risque) assumés d’avance. Pour mémoire, la réglementation actuelle (pour l’ISS) stipule un maximum de 100 à 400 cSv sur toute une vie (suivant l’âge et le sexe), ce qui correspondrait à une augmentation de 3% du risque de mort par cancer.
- en ce qui concerne la source des rayonnements ionisants : les rayons cosmiques (Galactic Cosmic Rays, GCR) proviennent de toutes les directions du ciel ; mais dans un habitat, la dose résultante est réduite en fonction de la proportion de la sphère céleste visible depuis la position occupée. Ainsi à la surface de Mars, l’horizon en bloque déjà la moitié ; si on s’installe au pied d’un relief, une réduction supplémentaire s’applique ; enfin, et c’est là que « l’effet casquette » doit être mis à profit, on peut concevoir un bâtiment offrant une variété de taux de visibilité sur le ciel, permettant de localiser les emplacements les plus occupés (lits, bureaux, tables de restaurant…) en zone aveugle, tout en offrant des lieux de passage (ou de contemplation du paysage) plus ou moins ouverts et laissant pénétrer la lumière extérieure. Ce principe est illustré dans l’exemple suivant d’une géode communautaire de 20 m de diamètre (sol orange) surmontée d’une « casquette » de 8 m de diamètre intérieur. Cette « casquette » en duricrete pourrait être garnie d’un jardin suspendu et abriter des locaux totalement protégés (bureaux, labos).
Dans un volume aussi vaste que celui d’un dôme, les architectes, tout en appliquant ce principe d’aménagement, ne manqueront pas d’imaginer toutes sortes de configurations adaptées aux fonctions spécifiques des lieux et offrant aux résidents un cadre de vie agréable et adapté à leur condition de « reclus ». Notons qu’il sera critique de « remplir » le plus efficacement possible le volume, car si seule la surface au sol était exploitée, la quantité de gaz produite pour remplir le dôme le serait presque en pure perte.
Afin de préciser ces lignes conceptuelles, d’aider à soulever les problèmes de détail et, enfin, d’illustrer ce à quoi cela pourrait conduire, nous avons dessiné deux aménagements, concernant respectivement le lieu de restauration – socialisation et l’espace sportif (avec piscine !). Dans ces exemples, l’effet « casquette » est produit par l’introduction d’une sorte d’arène circulaire, garnie de jardins suspendus et au sein de laquelle seraient aménagés des bureaux, laboratoires et locaux techniques (totalement protégés). Cette structure est posée sur un disque circulaire évidé, de 20 m de diamètre extérieur et 8 m de diamètre intérieur et offrant une hauteur sous plafond de l’ordre de 2,3 m. Son poids est en partie repris par la structure du dôme, par l’intermédiaire de tirants. Près de la paroi extérieure, le résident est totalement protégé ; au centre, il profite encore de la pente des gradins, mais il peut aussi décider de monter en haut de ceux-ci pour admirer le paysage dans son ensemble ou pour un moment de méditation. Les plantations donnent vie à l’ensemble, tout en offrant un loisir à ceux qui aiment jardiner…
Le coin restauration (cent couverts en deux services). (C) R.Heidmann /APM
Plonger en gravité martienne : un must pour l’offre touristique.
(C) R.Heidmann /APM
D’après un article rédigé par Richard Heidmann : Lien